70% des tentatives de vente à la relève familiale échouent. Tout le monde le sait.
Planifier, s’y prendre à l’avance et être accompagné est la recette du succès. Ça aussi tout le monde le sait. Chaque semaine, ces conseils font la une des journaux d’affaires et sont au programme de tous les événements destinés aux gens d’affaires.
Mais les entrepreneurs concernés, eux? Ceux qui auront à céder leur entreprise. De leur usine, de leur salle de conférence, de leur bureau vitré, les entendent-ils? Et surtout, les comprennent-ils? Mon petit doigt me dit que la majorité lit les grands titres, mais pas les articles. Reçoit la programmation, mais n’assiste pas à la conférence. La retraite leur semble encore bien loin. Ils n’ont à la fois pas le temps et tout leur temps.
S’ils n’ont pas le temps d’écouter ou de lire les experts, cela signifie qu’ils interprètent les grands titres. Dans ce cas, que signifie pour eux « planifier » et « être accompagné »? À quoi attribuent-ils instinctivement le taux d’échec des tentatives de relève?
Passer le flambeau ou comment jongler avec un cocktail d’émotions refoulées
Les entrepreneurs cédants avec qui je travaille pensent souvent que l’échec est lié à une mauvaise connaissance du volet rationnel, du comment, des chiffres. Rapidement, ils ont fait appel aux comptables, aux avocats, aux fiscalistes.
C’est qu’avant d’avoir les deux pieds dedans, ils ne savaient pas encore que le processus de relève est un cocktail explosif d’émotions et que les enjeux susceptibles de faire échouer la transaction sont reliés à l’humain. Que le nerf de la guerre, c’est les communications et le transfert des connaissances stratégiques.
Personne ne peut leur en vouloir. La génération d’entrepreneurs qui approche la retraite est une génération d’hommes-orchestres. Ils sont bien dans leur entreprise, dans les chiffres, dans la logistique, dans la production : les deux mains dedans. Selon eux, c’est tout ce qui compte. Parce que toute leur vie, c’est ça qui a toujours compté.
Le plus gros risque de l’entrepreneur cédant : s’esquiver
Bien des entrepreneurs voudraient que tout ça se fasse sans eux. Alors que le releveur, lui, veut l’inverse. S’il y a un seul message que je voudrais que les entrepreneurs cédants retiennent, c’est qu’ils ont tout avantage à demeurer maître du projet jusqu’au bout. À prendre la responsabilité de préparer le terrain pour leur releveur. À reconnaître le volet humain de la transaction.
Dans un modèle de risque, ce qu’on mesure c’est la probabilité et l’impact.
En transfert de connaissances, la probabilité de passer à côté est très grande et l’impact pour les individus, que ce soit les employés, le releveur ou le cédant lui-même peut aussi être très grand.
On parle ici de la réalisation ou non de la transaction.
De la pérennité ou non de l’entreprise.
De la perte ou non d’emplois dans la région où l’entreprise est établie.
Le travail effectué au préalable par le cédant aura à la fois un impact sur le taux de réussite et le montant de la vente. Et ça, ce n’est pas rien. En fait, c’est pas mal tout ce qui compte.
Préparer la relève, c’est préparer quoi?
Aujourd’hui, la théorie de l’homme-orchestre ne tient plus. Surtout quand l’homme-orchestre lui-même tire sa révérence. Le monde des affaires est plus complexe. Le releveur a besoin de comprendre, d’avoir une vue d’ensemble du projet. Il veut travailler en équipe.
Le cédant a du boulot à faire :
- Pour s’assurer que l’entreprise ne repose plus sur ses uniques épaules.
- Pour documenter les 25-35 ans de business qu’il a dans la tête.
- Pour faire le tri entre ce qui est important de communiquer et ce qui ne l’est pas.
- Pour identifier le type de releveur qu’il lui faut.
- Pour faire participer les ressources clés au projet.
- Pour faire des tests de réalité.
- Pour se préparer à son changement de statut, à la perte de son identité « d’entrepreneur ».
- Pour choisir la bonne personne et se rendre disponible pour bien l’accompagner.
Et pour y arriver, il lui faut un plan de transfert de connaissances, pas uniquement un plan de transfert d’actions. Surtout, ça prend du temps.
Parce que l’entreprise continue de rouler pendant ce temps-là! Il faut donc gérer la relève en parallèle de tous les autres projets. Bien souvent, pour commencer, il suffit de planifier une rencontre aux trois mois animée par une personne externe qui portera sur la situation un regard à 360 degrés, un regard non pas de fiscaliste, mais de coach. Celle-ci apportera un modèle de plan d’action, d’outils de gestion et une liste de détails à ne pas oublier. Surtout, elle agira comme médiatrice et facilitera la communication. L’aspect financier ne devrait pas être un frein : on parle de seulement 3000$ ou 4000$ par année.
L’enjeu, le vrai, c’est la réussite.
Il est important d’en faire une priorité. Maintenant.
C’est la paix d’esprit et la satisfaction qui en résulteront.
Enfin, je sais que les entrepreneurs ne lisent pas souvent les articles jusqu’au bout, faute de temps. Je compte donc sur vous pour leur faire parvenir ce billet et insister pour qu’ils le lisent!

Sylvie Huard
Moi-même entrepreneure, repreneure et cédante à plusieurs reprises, le terrain en matière de transfert d’entreprise, je m’y connais! Eh oui, j’ai réalisé 10 transactions d’actions, dont 3 en entreprises familiales. J’ai aussi eu le grand privilège d’occuper le poste de PDG au sein d’une entreprise qui a vu ses ventes passer de 13 à 100 millions de dollars en 11 ans.
Malgré un parcours enrichissant dans le monde des affaires, un MBA et un baccalauréat en psychologie, je suis en perpétuelle formation, cherchant sans cesse à raffiner mon art.
Accompagner une famille en affaires, c’est plonger au cœur non seulement de son entreprise, mais aussi de son intimité. Et c’est pour créer ce sentiment de confiance essentiel pour se dévoiler et se dire les vraies affaires, même quand c’est difficile, que je mets tout en œuvre pour créer des espaces intergénérationnels sécurisants.
Chacun a sa propre façon de redonner au suivant. Pour ma part, je me dédie au bien-être des individus et des familles par la recherche et l’écriture. Dans Entreprise familiale : jaser d’affaires en famille sans cocotte de vaisselle , j’ai voulu outiller les familles à préserver l’harmonie familiale et la pérennité de leur entreprise.
J’ai bien aimé lire votre article, je suis parfaitement en harmonie avec vos propos, ils rejoignent mes croyances à bien des égards.. Et ce en toute connaissance de cause après avoir travaillée et vécue au sein d’une entreprise familliale à la 3e génération. Le défi est de réussir à établir une bonne communication et de briser les nons-dits au sein de l’entreprise. De faire appel à des gens de l’externe est essentiel pour guider les gens dans leur démarche et réflexion face à la pérénnité de l’entreprise et leur réalité à eux. Je n’hésiterai pas à transmettre votre article à des entrepreneurs. MarieC
Merci Madame Beaudoin pour votre commentaire et surtout pour votre contribution à répandre la bonne nouvelle que c’est possible d’éviter de la souffrance dans les entreprises!