« J’en reviens pas à quel point ton frère te parle mal. » J’avais 13 ans. Ma cousine en avait 18 ans, tout comme mon grand frère. Je ne comprends pas pourquoi elle me disait ça… jusqu’au jour où, quelques années plus tard, j’ai eu une discussion similaire avec ma mère.
Moi. – Maman, pourquoi tu te laisses faire ? Je commence à en avoir assez de te défendre devant papa.
Ma mère. – Pourquoi tu me dis ça ? Ton père ne me parle pas mal. Tu n’as pas besoin de me défendre.
C’est cet après-midi-là, dans la voiture, alors qu’on revenait de magasiner, que j’ai compris que tout le monde autour de nous se rendait compte qu’on se parlait mal… sauf nous, les principaux concernés .
Les années ont passé. Puis, c’est au fil de mes interventions en entreprise que je me suis rendu compte que la majorité des familles en affaires vivent une situation similaire. Mais pourquoi on se parle mal de même ? Quels sont les dangers qui nous guettent si on ne fait rien ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour régler le problème ?
Pas d’excuses
Les membres d’une famille en affaires sont généralement respectueux et bienveillants avec tout le monde… sauf entre eux.
Ton sec.
Pas de s’il vous plait ni de merci.
Pas de gants blancs quand on aborde un sujet sensible.
Impatience non dissimulée.
Interruption (couper la parole).
Mais pourquoi ? Parce que bien souvent, ils placent l’entreprise et l’efficacité au-dessus de leur relation familiale. Ils s’aiment et sont rarement mal intentionnés, mais ils n’ont pas de temps à perdre en politesse. Il faut que ça roule.
Attention, danger !
« Je ne me sens pas bien. C’est comme si vous parlez une dialecte toutes les deux. Je n’aime pas la façon dont Jade et toi vous parlez. »
Ouf ! L’effet d’un deux par quatre dans le front. Ma collègue Karine avait bien raison : ma fille Jade et moi, on se lançait des pointes que seules nous deux pouvions comprendre. Maintenant que nous avons pris conscience qu’on se parle mal à l’occasion, on fait plus attention. Et quand on s’échappe, Karine nous remet gentiment à l’ordre.
Il existe deux principaux dangers liés à ce comportement toxique. Le premier, c’est l’embarras grandissant à l’intérieur de l’entreprise. Les gens finissent toujours par s’en rendre compte. Et quand les situations malaisantes se multiplient, à la longue, cela crée un gros malaise qui nuit à l’ambiance de travail.
Le deuxième danger peut entraîner des conséquences encore plus graves. Disons que Christine est pressée pour prendre la relève de son père d’ici trois ans. Selon vous, quel effet pourrait engendrer des commentaires comme ceux-ci ?
– Pourquoi as-tu changé tel processus ?
– Ce n’était pas une bonne idée d’embaucher un deuxième commis-comptable.
– À quoi ça sert de faire une rencontre hebdomadaire avec l’équipe de gestion ? C’est une perte de temps.
Dans un processus de transfert d’entreprise, toutes les parties impliquées, que ce soit les employés, les clients, les fournisseurs ou les partenaires, concernant comment le cédant agit avec la relève. Des commentaires comme ceux que vous venez de lire entraînent la réaction suivante chez les autres : « Pourquoi on devrait lui faire confiance pour assurer la relève alors que son père/sa mère/son oncle/sa tante ne lui fait même pas confiance ? »
Des solutions pour mettre fin à cette dynamique nocive
Je vous rassure : c’est un problème qui peut se régler si chacun y met du sien. Mais je ne vous mentirai pas : ça ne sera pas de la tarte, car les mauvaises habitudes ont la couenne dure !
Solution n o 1 : Prendre conscience du problème
Bien souvent, la prise de conscience arrive par les autres. Et maintenant que les membres de la famille en affaires savent qu’ils ont un problème à régler ENSEMBLE, ils doivent aussi agir ENSEMBLE.
Solution n o 2 : Aborder le sujet dans le conseil de famille
Le conseil de famille, c’est la meilleure place pour discuter du problème, car c’est son rôle de définir ses valeurs. Disons que l’épanouissement personnel ou la bienveillance font partie des valeurs prônées par la famille en affaires. Pensez-vous que mal se parler respecte ces valeurs ? Pas du tout. Les membres du conseil pourront donc voir les comportements à modifier afin de rétablir une saine communication.
Solution n o 3 : Revoir les rôles de certains membres
Lorsqu’une personne n’occupe pas un poste qui lui convient, elle risque de mal faire son travail. Et au fil des mois et des années, les autres finissent par pogner les nerfs après elle. C’est une personne compétente, pourtant. Il suffit de revoir ses rôles et ses responsabilités pour qu’elle s’épanouisse et performe à la mesure de son talent.
Solution n ° 4 : Affirmer sa personnalité
Les entrepreneurs sont des gens d’action. Un défi à relever ou un problème à régler ? Ils vont déplacer des montagnes pour y arriver. Toutefois, plusieurs tombent trop vite dans l’action et ne prennent pas le temps de réfléchir, d’analyser.
– Est-ce que ce que mes parents ont fait pour autant de succès, c’est encore obtenir la bonne façon ?
– Est-ce que moi aussi, je veux sacrifier ma vie de famille et ma vie sociale pour faire croître l’entreprise ?
Lorsqu’un repreneur prend ce temps de recul pour définir sa propre vision, une vision qui correspond à sa personnalité et à ses ambitions, il peut la communiquer aux autres membres de sa famille. Comme ces derniers l’aiment et veulent son bien, ils le comprendront mieux. Cela évitera bien des commentaires inappropriés (même s’ils ne sont pas malintentionnés).
Solution n ° 5 : Demander de l’aide
N’hésitez pas à demander de l’aide aux personnes qui vous entourent, surtout les hauts dirigeants non apparentés. Ils pourront vous donner de la rétroaction afin de vous aider à vous améliorer.
– Ouin, c’était pas fort, ton commentaire pendant la réunion tout à l’heure.
– C’était déplacé ce que tu as dit à ton neveu pendant qu’on était à la machine à café.
Lorsqu’on se rend compte qu’on se parle mal, la moitié du problème est réglée. Ensuite, il suffit d’être vigilant et de faire des efforts pour se parler avec respect et bienveillance. Vous verrez que les résultats se manifesteront rapidement : augmentation de la cohésion, de la complicité et du bien-être au travail. Et c’est sans compter l’effet sur la rétention et l’attraction de personnel.
Sylvie Huard
Moi-même entrepreneure, repreneure et cédante à plusieurs reprises, le terrain en matière de transfert d’entreprise, je m’y connais! Eh oui, j’ai réalisé 10 transactions d’actions, dont 3 en entreprises familiales. J’ai aussi eu le grand privilège d’occuper le poste de PDG au sein d’une entreprise qui a vu ses ventes passer de 13 à 100 millions de dollars en 11 ans.
Malgré un parcours enrichissant dans le monde des affaires, un MBA et un baccalauréat en psychologie, je suis en perpétuelle formation, cherchant sans cesse à raffiner mon art.
Accompagner une famille en affaires, c’est plonger au cœur non seulement de son entreprise, mais aussi de son intimité. Et c’est pour créer ce sentiment de confiance essentiel pour se dévoiler et se dire les vraies affaires, même quand c’est difficile, que je mets tout en œuvre pour créer des espaces intergénérationnels sécurisants.
Chacun a sa propre façon de redonner au suivant. Pour ma part, je me dédie au bien-être des individus et des familles par la recherche et l’écriture. Dans Entreprise familiale : jaser d’affaires en famille sans cocotte de vaisselle , j’ai voulu outiller les familles à préserver l’harmonie familiale et la pérennité de leur entreprise.